La frugalité comme injonction au développement des villes de demain. Observateurs, urbanistes, architectes, universitaires… Les professionnels de l’urbain invités à la Cité Descartes de Marne-la-Vallée, le 31 janvier, n’ont presque pas eu à débattre. Autour du thème "Urbanisme frugal, un impératif pour la ville", l’échange organisé par le département d’urbanisme et les écoles d’architecture de Marne-la-Vallée s’est avéré particulièrement consensuel.
Faire le plus, avec le moins. La frugalité semble "enfin" appliquer à l’urbain une notion familière à de nombreux autres secteurs. "Efficience" pour la dépense publique, "écologie" pour la planète, "rentabilité" pour la société privée… En pratique, comment décliner cette approche et en saisir tous les enjeux ?
Jean Haëntjens, économiste et urbaniste auteur de "La ville frugale" (FYP Editions) rapproche ce concept apparemment rigoureux du principe épicurien qui vise à produire toujours plus de satisfaction avec des ressources toujours moindres. La ville frugale selon lui, ne doit donc rien à l’austérité, elle est avant tout durable, c’est-à-dire profitable, désirable, mais aussi soutenable et abordable. Or, le coût global urbain, qui comprend le coût immobilier, les frais de déplacements, et les coûts mutualisés, a pris, d’après les chiffres de l’économiste, une proportion moyenne de 35 % dans le budget des ménages français. Pour 20 % d’entre eux, ce chiffre peut monter jusqu’à 50 %. Pour tous, il serait en constante augmentation.
La ville de demain doit donc répondre à quatre types de paradoxes : concilier qualité de vie et abordabilité ; désir d’espace et gestion économe du sol ; désir de mobilité et sobriété énergétique ; équité territoriale et polarisation. "Ces revendications sont exactement celles des mouvements sociaux qui ont marqué les derniers mois, souligne Jean Haëntjens. La principale qualité de l’urbanisme frugal dans notre quête de réponses, c’est la transversalité de son concept". Celui-ci implique d’entrelacer des notions "trop souvent envisagées isolément". Ville solidaire, éco-cité, smart-city doivent présenter ensemble les mêmes axes de solutions : des solutions techniques (technologies, mobilités douces, énergies renouvelables, constructions biosourcées…) ; des solutions urbanistiques (optimisation des réseaux, plans, polarités…) ; des solutions culturelles et sociales (développement des usages, de valeurs, sensibilisations…) ; et des solutions politiques ou managériales (incitations, contraintes, taxations, participations…).
Un point clé du concept : appliquer ces solutions à une échelle particulièrement étudiée. Est souvent privilégiée celle de l’îlot, du quartier (en ville) ou du bourg (en zone rurale), en tant qu’échelle de la mobilité domestique (c’est-à-dire 30 % à 50 % des déplacements). Une bonne organisation de la proximité domestique en fonction des masses critiques de population doit permettre par exemple de réduire considérablement l’usage de la voiture en optimisant les temps de trajets piétons. Pour parvenir à ce schéma frugal, Jean Haëntjens insiste sur le développement de réseaux "en toile d’araignée" et non plus "en étoile", sur la présence en ville de la nature, siège tout à la fois d’activités multiples et d’aires favorables au repos, et sur une forme d’éducation citoyenne qui permettrait d’acquérir les bons réflexes dès le plus jeune âge (apprentissage du vélo, réduction des déchets ménagers, etc.).
En zone rurale, l’architecte Félix Mulle s’attache pour sa part à l’urbanisme des "petites choses". "Les communes rurales disposent de moyens limités, et s’effraient facilement des grands travaux. Une simple porte à l’arrière de la salle des fêtes, une passerelle, ou un restaurant sur la place de la mairie peut permettre de créer de la porosité, de souder les espaces et de proposer de nouveaux usages". Cela facilite également les processus de concentration, destinés à lutter contre la dispersion de l’habitat et les fonciers mal maîtrisés. Pour Mirco Tardio, architecte, "il faut à tout prix éviter les zones de logements ultra diffus tels que les connaissent nos campagnes, où l’on raisonne par parcelle, où il n’y a pas d’aménageur, et pas d’opération possible, en bref, pas de structure".
Ce qui implique d’anticiper les besoins des usagers, pour éviter la création a posteriori de nouveaux services, de nouveaux budgets, de nouveaux organismes de gestions, et de nouveaux cercles de décision dont la superposition ralentit considérablement l’ensemble du système. "La cité politique et ses lourdes mécaniques semblent avoir fait leur temps, conclut Jean Haëntjens. La ville de demain sera 'smart’ et dématérialisée, modulable et participative. Elle sera immanquablement frugale".