Favoriser les logiques de coopération, libérer la donnée, s’affranchir des contraintes normatives, troquer la pensée sectorielle pour la logique systémique. Ce sont autant de prérequis dont a besoin l’économie circulaire pour se propager et jouer son rôle : protéger nos ressources naturelles. Le propos a été largement étayé durant la 12e université d’été de l’EIVP (Ecole des ingénieurs de la ville de Paris), du 4 au 7 septembre, qui avait pour thématique : "Economie circulaire et génie urbain". Un sujet ô combien actuel. Quand on sait que le sable et l’eau comptent parmi les ressources les plus en déclin, il y a urgence à plancher sur un nouveau modèle de construction des villes. Message que les intervenants ont tour à tour adressé aux opérationnels en herbe venus assister aux débats.
"Nous avons fait de l’économie circulaire pendant 10 000 ans, de l’holocène à la révolution industrielle. A se demander comment on en est arrivé là ?", s’interroge encore Geneviève Férone Creuzet, qui a introduit son propos par ce "tournant" de l’Histoire marqué par la montée en puissance du pétrole, "matrice du monde matériel" qui a donné à l’Homme "de super-pouvoirs", et qui par ses capacités prolifiques, a entraîné les sociétés modernes dans "la frénésie de la consommation".
En consacrant son université d’été à l’économie circulaire (EC), l’EIVP cherche à sortir cette démarche transversale du domaine expérimental pour poser un cadre scientifique au service du génie urbain. Les échanges ont aussi permis de faire le lien – encore fragile – entre cette logique d’économie de l’usage et d’autres grands enjeux sociétaux, au premier rang desquels figure l’emploi. Avec, en toile de fond, cette question : l’écologie est-elle compatible avec notre modèle économique marchand ? En attendant de trouver une réponse, certaines villes se sont déjà engagées dans l’aventure, à l’instar de Paris. Ailleurs, Montréal fut l’une des pionnières en la matière. Plus près, Bruxelles et Genève sont aussi de fidèles pratiquantes de l’économie circulaire.
L’exemple parisien
"Paris est la première ville française à avoir lancé une véritable politique dédiée à l’économie circulaire", a rappelé Antoinette Guhl. La municipalité avait participé, en 2015, au lancement des états généraux de l’économie circulaire du Grand Paris, qui avait donné lieu à la rédaction d’un livre blanc. En juillet 2017, le conseil parisien adoptait une première feuille de route composée de quinze actions, en lien avec la construction et l’aménagement. "20 % des marchés publics de la ville de Paris comprenaient une clause EC en 2016", s’est félicitée l’adjointe à la maire de Paris en charge de l’EC.
"Notons que pour utiliser du béton recyclé, les freins normatifs sont plus importants pour le bâti public que pour le domaine privé". Les contraintes légales (liées à la sécurité en particulier), souvent en contradiction avec les enjeux environnementaux, ont largement été évoqués durant les échanges.
"La seconde feuille de route est prévue pour novembre", avec un focus sur le plastique et la culture, dont "l’éco-conception des événements notamment", d’après les précisions de l’adjointe ; "20 tonnes de déchets sont produits pour une grande exposition".
Faire de l’économie circulaire dans une ville monde comme Paris nécessite de revoir les bases, celles sur lesquelles on s’appuie depuis la révolution industrielle pour construire nos villes. Les angles d’attaque sont aussi nombreux que les enjeux à relever. Pour Antoinette Guhl, "il faut prendre le problème par la fin", "éco-concevoir" au maximum. Ce qui revient à se poser la question du "métabolisme urbain", ou comment "considérer la ville comme une consommatrice". "L’alimentation est un sujet capital : à Paris, nous n’avons que trois jours d’autonomie, d’où l’importance de l’intégration de la campagne et de sa protection", a illustré l’élue.
Changement de braquet
Parce que l’urbanisation s’intensifie dans tous les pays du monde - en France, 80 % de la population vit en zone urbaine – l’EC doit aussi transformer le rapport au temps et à l’espace. En délaissant, par exemple, le schéma de pensée qui consiste à réduire la temporalité du projet urbain à 10 ou 15 ans, comme si sa livraison était sa finalité. C’est ainsi que l’Ademe entend porter les exigences de l’EC. Amandine Crambes, qui œuvre au département Génie urbain et économie circulaire de l’Agence, est ainsi revenue sur la planification et l’aménagement qu’il s’agit d’appréhender "en termes d’optimisation de flux" et "non plus par fonctions", la nécessité de "développer l’ACV [analyse du cycle de vie, ndlr] à l’échelle du territoire", ou encore celle de "partir de l’usage pour dessiner l’habitat". Voire, d’apprécier "la nature comme infrastructure", pour reprendre les mots de Geneviève Férone Creuzet.
Pour faire la ville, mais aussi pour répondre aux enjeux plus empiriques de l’ultimatum environnemental, il faudrait tout un modèle. Quand on sait qu’une saison de mode dure trois semaines pour les grandes enseignes, on part de loin. Un changement radical pour le monde économique, mais aussi une véritable opportunité pour l’emploi. Le démantèlement des déchets, par exemple, donne la possibilité de créer une cinquantaine d’emplois, contre moins de cinq en cas d’incinération et un seul pour la mise en décharge. L’économie circulaire profiterait au développement de nouvelles filières, et donc d’emplois, ne serait-ce que pour trier les matériaux. A quand un diagnostiqueur sur les chantiers ?