Immobilier d'entreprise : l'Ile-de-France dans tous ses états

D’un côté, une demande placée en chute libre sur le segment des bureaux (340 300 m2, – 37 %). De l’autre, des investissements en immobilier d’entreprise en nette progression (5,3 Md€, + 89 %). Bref, le marché francilien, déjà impacté par le Covid-19, a cumulé les paradoxes au cours du premier trimestre 2020. Explications. 

Un des "pires" trimestres de l’histoire, selon JLL. Oui, avec seulement 340 300 m2 de bureaux commercialisés entre le 1er janvier et le 31 mars, le marché locatif francilien a dévissé (- 37 % par rapport au 1er trimestre 2019 ; lire notre article), notamment au cours du dernier mois de la période (- 63 %). Un mois assurément impacté par le confinement lié au Covid-19.

"Sans surprise, les effets de l’épidémie continueront à se faire sentir sur le deuxième trimestre 2020", indique Grégoire de La Ferté, Executive Director Bureaux Ile-de-France de CBRE, qui tempère malgré tout son propos : "l’activité sur les prochains mois ne sera, néanmoins, pas nulle puisque des prises à bail continuent d’être signées, y compris durant la période de confinement, notamment dans le cas de projets structurants de moyen – long terme motivés par des besoins d’optimisation et/ou modernisation des bureaux". Dans le détail, grandes surfaces, avec seulement dix transactions (83 000 m2), moyennes surfaces (- 33 %) et petites surfaces (- 24 %) s’illustrent par un repli significatif. 

Un marché stable dans le QCA

"Les différences géographiques sont néanmoins notables", analyse Éric Siesse, directeur général adjoint en charge du pôle bureaux location Ile-de-France de BNP Paribas Real Estate Transaction France. Ainsi, le quartier central des affaires enregistre une stabilisation de la demande placée sur un an (96 000 m2). Avec 21 000 m2 commercialisés, La Défense résiste mieux en ce début d’année (- 10 % sur un an). D’autres secteurs, quant à eux, affichent une très forte baisse, à l’instar des premières couronnes (- 60 %) et du Croisant ouest (- 51 %).

Et après, donc ? "Difficile de faire des prévisions à ce stade tant les incertitudes sur la durée et l’intensité de la crise sanitaire et ses répercussions sur l’économie sont nombreuses", reprend Eric Siesse. "Nous pouvons néanmoins envisager une reprise graduelle selon la typologie et la taille des utilisateurs, une fois la levée du confinement actée". Il ajoute : "à court terme, la recherche d’économies via notamment des consolidations de site devrait essentiellement alimenter le volume des grandes demandes. Les fondamentaux seront toujours présents à moyen terme pour accompagner la reprise : un marché d’utilisateurs très diversifié,  une transformation des usages toujours au cœur de la réflexion des utilisateurs, l’obsolescence de certains immeubles franciliens et, bien entendu la poursuite de l’éclosion de nouveaux territoires tertiaires en relation avec le projet du Grand Paris Express".

L’offre immédiate – qui atteignait 2 717 000 m2 fin 2019 – a légèrement augmenté (+ 7 %), à 2 916 000 m2, pour un taux de vacance de 5,4 %. Une hausse "liée au report de transactions", pour JLL, qui mise sur un scénario de stabilisation des valeurs. "La majorité des chantiers étant actuellement à l’arrêt, les retards de livraisons des programmes neufs-restructurés devraient amener à une hausse de la vacance relativement maitrisée sur ces prochains mois et contenir le risque d’une baisse des loyers faciaux. En revanche, dans ce contexte troublé, les mesures d’accompagnement (20,8 % au 4e trimestre 2019 en moyenne) seront incontestablement orientées à la hausse dans les prochains mois", commente Grégoire de La Ferté, Executive Director Bureaux Ile-de-France de CBRE.

Le troisème meilleur démarrage de l’histoire pour le marché de l’investissement francilien

Temps maussade sur la demande placée, donc, et grand soleil sur les investissements : tel est le paradoxe de ce premier trimestre 2020, relevé par tous les membre du Groupement d’intérêt économique Immostat, réunissant quatre conseils en immobilier d’entreprise, ici BNP Paribas Real Estate, CBRE, JLL et Cushman & Wakefield. Ainsi, en dépit du Covid-19, près de 5,3 Md€ ont été ainsi investis en Ile-de-France : un volume en hausse de 90 % sur un an et plus de deux fois supérieur à la moyenne décennale. Il s’agit tout simplement du troisème meilleur démarrage de l’histoire pour le marché de l’investissement francilien.

Une performance portée par les transactions supérieures à 100 M€, au nombre de 17, qui représentent 3,5 Md€ au total. LaSalle Investment Management a ainsi acquis le 14, rue Bergère, dans le 9e arrondissement de Paris : DTZ Investors, pour le compte de CNP Assurances, le 147, siège de Capgemini, à Issy-les-Moulineaux (lire notre article). Le marché des opérations d’un montant compris entre 50 et 100 M€ n’est pas en reste, avec plus de 766 M€ d’engagements, contre seulement 64 M€ un an plus tôt. Une performance qui résulte d’un second semestre 2019 assurément dynamique.

"Certains investisseurs pourraient revoir leurs stratégies d’allocation"

En France, ce volume atteint 7,5 Md€ au 1er trimestre 2020 (+ 46 % sur un an), selon BNP Paribas Real Estate, qui indique que "les premiers effets de la crise économique et financière devraient se faire ressentir au cours des prochaines semaines" et que "certains investisseurs pourraient revoir leurs stratégies d’allocation entre les différents actifs immobiliers".`

"Le marché de l’investissement va connaître un fort ralentissement au cours des prochains mois en écho à la crise du Covid-19", prédit quant à lui Stephan von Barczy, directeur du département investissement de JLL. "Certains acteurs ont en effet posé le stylo et attendent de voir quel sera l’environnement post-confinement. Pour autant, d’autres investisseurs, notamment les collecteurs d’épargne, se sont organisés pour passer les comités et continuer à fonctionner. Et les mesures de soutien annoncées par les gouvernements et les banques centrales devraient permettre un retour rapide des coûts de financement à leurs niveaux d’avant crise. Le volume d’investissement en 2020 dépendra en tout état de cause de la durée du confinement".

Et quid des prix ? "Aucun changement ne devrait être observé pour les actifs prime vers lesquels les investisseurs se tourneront en priorité dans la logique du flight to quality. Les actifs de moins bonne qualité seront en revanche impactés", juge l’intéressé. "Le marché reste pour l’heure sain avec des fondamentaux solides et une abondance de liquidités toujours prêtes à être déployées. Les collectes récentes ont permis à un certain nombre d’acteurs de disposer aujourd’hui de capitaux disponibles. Il s’agit d’investisseurs all-equity, de fonds internationaux de premier plan mais aussi de certaines SCPI et assureurs français", conclut Nicolas Verdillon, Executive Director Investment Properties de CBRE.

 

L’avis de Marie-Laure Leclercq De Sousa, directrice du département Agence de JLL
"Les attitudes immobilières des entreprises sont très différentes en fonction de leur taille, de leur âge, et de l’industrie à laquelle elles appartiennent. Les PME-TPE, faute de visibilité sur leur activité dans les mois à venir, et les start-ups, qui craignent de ne plus pouvoir lever de fonds et travaillent en écosystème, ont pour l’essentiel stoppé leurs projets. Concernant les ETI, l’essentiel des projets est pour le moment mis en stand-by. Certains font en effet face à des difficultés de trésorerie et manquent de capitaux pour réaliser leurs projets d’aménagement. Sur le segment des grandes surfaces, enfin, les projets sont maintenus mais certaines grandes entreprises attendent de voir quelle sera l’évolution des valeurs locatives avant d’avancer. C’est le cas notamment de sociétés traditionnelles qu’on ne voyait plus dans un marché considéré comme trop cher. Quoi qu’il en soit, nous constatons des réactions très rapides et nous étonnons de l’agilité dont les entreprises font preuve".

L’avis d’Olivier Ambrosiali, directeur général adjoint, en charge du pôle vente et investissement de BNP Paribas Real Estate Transaction France
"Les taux obligataires particulièrement bas et la très forte volatilité sur le marché des actions continueront d’offrir un couple rendement/risque attractif pour l’immobilier. De bonnes perspectives sur les marchés locatifs devront compléter le tableau afin de permettre une bonne orientation du marché de l’investissement au cours des prochains trimestres ».

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